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Introduction
En deçà du rêve mais plus loin que la réalité, la xénotransplantation n’a pas dit son dernier mot. Loin de nos chimères d’un homme à foie de cochon ou d’un possible plan épargne porcelet, gage de tous nos besoins en matière d’organes, la recherche continue d’avancer et les animaux de nous soigner. Bilan provisoire des avancées dans ce domaine si souvent décrié
Le Projet
Xéno... Quoi
Étymologiquement, le terme xénotransplantation renvoie à la traduction du mot grec xéno qui signifie ce qui est étranger. Dans la pratique, à côté des techniques de transplantation que nous connaissons, qui s’effectuent d’un homme à un autre (allotransplantations), des études sont menées sur des transplantations possibles d’une espèce étrangère sur une autre.
Ces recherches se distinguent d’une part par le mouvement de greffe envisagé : d’un animal à un autre, de l’homme à l’animal ou de l’animal à l’homme ; et d’autre part par ce qui est transplanté.
Généralement, lorsque l’on entend le mot transplantation, l’on pense spontanément à des greffes d’organes, or ces techniques s’appliquent également aux cellules. D’ailleurs, et nous allons le voir, les recherches actuelles en xénotransplantation portent désormais sur des xénogreffes cellulaires et non plus sur des xénogreffes d’organes. En effet, malgré les tentatives de ces dix dernières années, les obstacles dans les transplantations d’organes inter-espèces sont impossibles à surmonter. Il y a à la fois trop de problèmes immunologiques : malgré les doses massives d’immunosuppresseurs et de corticoïdes (anti-inflammatoires) injectées, le système immunitaire – notre mécanisme de défense interne – ne tolère jamais l’organe transplanté. C’est ce que l’on appelle le rejet suraigu. Mais également beaucoup trop de différences physiologiques entre les organes d’une espèce à l’autre : ils se développent et réagissent de manière propre et de façon contradictoire d’une espèce à l’autre. À cela, il faut encore ajouter la pression que subissent les chercheurs de la part de l’UE et des comités d’éthique, qui tendent à interdire l’utilisation des animaux en laboratoires (ils ont d’ailleurs interdit l’utilisation des singes, qui sont pourtant les mammifères les plus proches de l’homme dans la chaîne du développement. Les laboratoires n’ont plus - sauf exception - en leur possession que des rongeurs et des porcs). Toutes ces difficultés ont conduit à un recentrage de la recherche qu’offrent l’utilisation des cellules.sur les possibilités qu’offrent l’utilisation des cellules.
Si la xénogreffe cellulaire pourra sembler à certains moins ambitieuse que la xénotransplantation d’organe, elle est encore porteuse d’espoir. Présentation de deux axes de recherche dans deux domaines hétérogènes.
Des porcs sans sucre pour combattre le diabète humain ?
À l’Université de Louvain en Belgique, une équipe de chercheurs dirigée par M. Jean-Paul Dehoux, se penche sur l’utilisation de cellules porcines dans le traitement du diabète humain dans le but de trouver une solution pour ces patients qui ne provoquent pas suffisamment d’insuline. Ils ont récemment mis au point une sorte de patch qui pourrait combler ce manque et rendre la vie plus facile à des milliers de malades dans le monde.
Dans leurs expériences, ils utilisent des porcs dits transgéniques c’est-à-dire manipulés génétiquement : par des modification sur l’ADN porcin (en enlevant certaines protéines, en les remplaçant par des protéines humaines,etc.), et plus précisément sur les cellules responsables de la production d’insuline (cellules que l’on trouve dans les îlots de Langerhans, agrégats cellulaires présents dans le pancréas), ils ont produit des porcs dont les cellules sont compatibles avec le corps humain. Les porcs - non-modifiés - produisaient naturellement un sucre non reconnu par l’homme, la galoose, ce qui rendait toute utilisation impossible sur l’être humain. Par ces modifications génétiques, ils ont mis au point des porcs Gal Knockout, soit des porcs qui ne produisent plus de galoose. C’est sur ceux-ci que vont être prélevées les cellules (issues des îlots de Langerhans), qui vont être disposées sur des patchs d’environ deux cm2. Ces patchs contiennent des gels - les agaroses - capables d’emprisonner ces cellules. Ils permettent d’éviter certains mécanismes de rejet et de problèmes courants liés aux xénogreffes car leur action – des gels - empêche les cellules de se mélanger au sang, seule l’insuline qu’elles provoquent peut se répandre. Ensuite, ces patchs vont être greffés en intracutanée (juste en dessous de la peau), ce qui a pour avantage d’interdire tout contact du greffon avec les organes.
L’équipe est actuellement dans la phase d’observation : trois essais cliniques sont menés sur l’homme et l’on attend les résultats définitifs. Des ajustements seront surement nécessaires mais l’on peut dire, sans trop nous avancer que les premiers résultats sont plutôt prometteurs.
Des rongeurs et des cochons pour soigner la maladie de Parkinson ?
Cette recherche nous emmène hors des frontières belges, pour aller de l’autre côté de l’Atlantique, observer l’avancée des travaux de Mr Xavier Levêque, un chercheur français qui fut en poste à l’Université du Michigan aux États-Unis. Son axe de recherche est très différent de notre exemple précédent puisqu’il porte sur la possibilité de trouver des cellules de remplacement pour les malades atteints de Parkinson. Cette maladie se caractérise par une mort des cellules responsables du mouvement, les cellules dopaminergiques. À défaut de pouvoir les recréer, l’idée est d’en injecter de nouvelles pour remplacer les anciennes.
La maladie est traditionnellement soignée à la L-dopa, un précurseur de la dopamine, et ce dès les premiers symptômes de la maladie. Mais au bout de cinq ans, ce médicament ne fonctionne plus du tout. L’on a donc envisagé la solution des greffes neuronales.
Il y a déjà eu deux essais, le premier avec des cellules d’embryons humains, mais même si les résultats étaient probants, les tests ont dû être arrêtés pour des raisons à la fois éthiques et matérielles ; de plus on a constaté qu’au bout de trois ans, sont apparus des phénomènes de dyskinésie, des mouvements anormaux et incontrôlés, ce qui est plus fatiguant encore que la maladie elle-même. En fait, les greffons intégrés qui avaient créés de nouveaux neurones se sont mis au bout d’un certain temps à créer des réseaux de neurones abérants et donc ont provoqué ces phénomènes. Le deuxième essai a été mené début des années 2000 et cette fois avec des cellules neuronales d’embryons porcins. Sur les 5 patients greffés, deux ont montrés des évolutions significatives et ce, pendant plus d’un an. Une fois décédés (tous de causes extérieures à la maladie de Parkinson), les cerveaux ont été récupérés et analysés. Dans le cas des deux personnes dont l’état s’était amélioré, il a été impossible de retrouver le greffon. Il semblerait que ce soit la lente procédure de rejet par le cerveau des cellules porcines qui soit en cause. Sur le temps qu’il a fallu, les cellules neuronales ont pu produire leurs effets.
Après ces deux essais cliniques problématiques, les chercheurs ont dû revenir à des étapes antérieures de la recherche (comprendre les mécanismes sur des souris pour ensuite tenter des expériences sur les porcs et enfin sur l’homme) pour tenter de répondre aux questions qu’ont posées ces précédents essais : pourquoi y a-t-il formation de réseaux abérants et comment éviter le rejet des cellules porcines ; et si ces greffons ne sont plus rejetés comment s’assurer qu’ils ne produiront pas eux aussi des réseaux abérants. Car en définitive, au vu des problèmes éthiques et matériels que pose l’utilisation de cellules humaines, l’avenir de ces techniques se trouve uniquement en xénotransplantation.
Les recherches actuelles sont menées sur des rats (non modifiés) auxquels on a inoculé la maladie de Parkinson et auxquels l’on va greffer des neurones d’autres rats pour observer le recouvrement de la mobilité ou les phénomènes de dyskinésie (ils apparaissent beaucoup plus vite que chez l’homme,au bout de 4 à 5 mois). Il semblerait que le problème soit qu’il y ait un trop gros relargage de dopamine au sein du greffon, il faudrait donc trouver un équilibre. Une fois la confirmation des résultats obtenus, ils vont repasser à des modèles porcins (essayer de faire des neurones qui ne seront pas détectés) et pour la suite, seul l’avenir nous le dira.
Si ces deux exemples sont encourageant, il y a encore beaucoup de progrès à faire, et pas toujours là où on le croit, les mentalités et les politiques doivent évoluer. De plus se posent constamment des problèmes éthiques et des sociétés de protection des animaux. Il est clair que l’on ne peut pas tout se permettre mais où placer la frontière ? C’est un problème qui se repose à chaque étude sans trouver réellement de réponse. Différencier le porc du singe, le rat du porc, cela a-t-il un sens et sur quels critères ? Quelles priorités notre santé, la leur, la nôtre ? Quelles alternatives ?
Pour aller plus loin
Un sujet, tel que la xénotransplantation peut-être le fil conducteur d’une animation ou d’un débat. Pour ceux que cela intéresse, nous proposons ici quelques pistes pour alimenter la conversation (en classe ou ailleurs).
Exemples d’introduction au débat :
Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ?
Qu’est ce qui distingue les animaux entre eux ?
L’animal ressent-il la douleur ?
Que pensez-vous de l’expérimentation sur les animaux ?
Y a-t-il une différence entre l’expérimentation sur les animaux et les recherches en xénotransplantation ? (par ex : différence entre recherche sur des lapins pour des cosmétiques et recherche en xénogreffe cellulaire ?)
Sur quels animaux peut-on faire des expériences et pourquoi ? (par ex : parler de la législation, parler de la proximité entre homme et porc / homme et singe ? Quels critères vous permettent de distinguer les animaux ? etc.)
Pensez-vous qu’il vaudrait mieux investir la recherche dans les imprimantes 3D ?
Quelles alternatives envisagez-vous concernant les problèmes de transplantations ?
Sources
Contenu
Interview de Mr Xavier Levêque réalisée par G. Bouillet via Skype le 26 novembre 2011.
Collectif (1999), La xénogreffe sous toutes ses sutures, [Version électronique]. La Recherche, 320, p. 58, récupéré le 24 mars 2014 depuis |http://www.larecherche.fr/content/...
Cottier & Guerry (2000), Génie Génétique et Clonage : Xénotransplantation. récupéré le 24 mars 2014 depuis http://www.unifr.ch/nfp37/WHATISGeneTher/DP2000G_xenotrans.pdf .
Dehoux & Gianello (2003) Xénotransplantation, récupéré le 24 mars 2014 depuis le site de l’université de Liège http://www.facmv.ulg.ac.be/amv/articles/2003_147_3_01.pdf
Ibarrondo F., Diabète de type I : soigner avec du porc ?, récupéré le 24 mars 2014 depuis http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/diabetegreffe/diabetegreffe.html
Fellous M., La xénogreffe : enjeux et questions in L’homme et le vivant, [Version électronique], Patrick Pharo (éd.), Coll. Science histoire et société,PUF, 2004, récupéré le 24 mars 2014 depuis
u2.u-strasbg.fr/ici/UMB/site/UserFiles/File/Microsoft Word - FELLOUS -LaXenogreffe.pdfIllustrations
Figure 1 : http://rms.medhyg.ch/article_p.phpID_ARTICLE=RMS_346_1342
Figure 2 : www.nature.com/nm/web_specials/xeno/review.html