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Introduction
Voilà maintenant de très nombreuses années que le phénomène des « aliens », ces espèces exotiques envahissantes qui sévissent aux quatre coins de la planète, est présenté comme une menace écologique majeure. Beaucoup de temps, d’argent et d’énergie sont donc investis dans la lutte contre les végétaux et les animaux concernés. Cependant, la perception très négative (par le grand public notamment) du phénomène de l’invasion biologique ne repose que pour partie seulement sur un faisceau de données factuelles (compétition défavorable avec les espèces autochtones, chiffres à l’appui).
Il se trouve en réalité que le concept lui-même d’ « espèce exotique envahissante » (« espèce exotique invasive » si l’on souhaite céder aux charmes exotiques d’un anglicisme approximatif) n’est absolument pas rationnel et que rien de bien scientifique ne saurait donc l’étayer. On peut le prouver de façon très claire en faisant simplement appel à ce qui constitue la méthode même de la science : un raisonnement logique basé sur des faits. C’est l’objectif de ce bref article, qui ne vise qu’à rappeler que les Aliens sont bien, comme on pouvait s’en douter, des créatures de science-fiction. Et qu’il nous faut donc impérativement envisager le phénomène de l’invasion biologique avec beaucoup de sens critique, à l’écart du tintamarre médiatique.
Le Projet
Une définition très bancale
Commençons-donc, si vous le voulez bien, par définir ce qu’est une « espèce exotique envahissante », scientifiquement parlant. D’après le « Groupe de Spécialistes des Espèces Envahissantes » de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (l’UICN), c’est une espèce qui s’étend au-delà de son aire de répartition naturelle, par le biais de l’Homme ou des activités humaines. Sont donc exclues de cette définition les espèces qui étendent leur aire de répartition de façon naturelle, c’est à dire sans le biais de l’Homme ou de ses activités. Le Héron garde-bœufs, par exemple : au début des années 1930, cet oiseau jusque là confiné à quelques zones chaudes de l’Ancien Monde a amorcé une spectaculaire expansion qui l’a conduit à occuper pratiquement toutes les régions du globe qui lui conviennent. Traversant l’Océan Atlantique probablement contre son gré, emporté par des tempêtes, il a même fini par atterrir sur les côtes américaines et a colonisé une part importante du Nouveau Monde, d’où il était totalement absent. Arrivé en France à la fin des années 1960, l’animal s’est rapidement répandu dans le Sud-Ouest, par exemple : 6 nids au début des années 1990 et 2446 nids en 2007, dans la seule région Midi-Pyrénées. Et c’est loin d’être terminé. Si l’on peut objectivement parler à son sujet d’espèce envahissante (les ornithologues eux-mêmes ne se gênent pas), on ne saurait en revanche pouvoir parler d’« espèce exotique envahissante », puisque cet oiseau n’a pas été véhiculé par l’Homme. Il ne s’est pas échappé d’un zoo, d’un élevage ou d’une volière. Auto-mobile, il s’est bel et bien véhiculé tout seul jusqu’à nous et il n’est donc pas un « alien » si l’on se réfère à la définition citée plus haut.
Le seul caractère « envahissant » n’est donc pas diagnostique de l’« espèce exotique envahissante ». L’invasion seule (= « l’extension d’aire de répartition », pour employer une expression scientifique, biogéographique, dépourvue de connotation négative) ne définit pas l’ « alien ».
Alors … Quel peut donc être le véritable critère diagnostique d’une telle espèce ? L’ « exotisme », peut-être ? Certainement pas puisque, même venu d’ailleurs, c’est à dire même en étant exotique, notre ami le Héron garde-bœufs n’est pas considéré comme « exotique » par les scientifiques de l’UICN. Qu’est-ce donc qu’une espèce « exotique » pour ces scientifiques-là ?
Pour ces scientifiques-là, « espèce exotique » est en fait synonyme d’espèce non pas venue d’ailleurs, mais apportée d’ailleurs par l’Homme ou ses activités. La nuance, assez subtile, n’a rien de géographique, ni même de biogéographique (dans les deux cas, l’espèce vient d’ailleurs et se met à exister à un endroit où elle n’existait pas). En fait, cette définition n’a rien de scientifique et c’est ici que tout part en vrille …
Les « scientifiques » (guillemets de rigueur à partir d’ici, afin d’aisément distinguer les vrais des faux) considèrent donc négativement les invasions qui sont le fait de l’Homme et de façon plutôt neutre (c’est à dire de façon scientifique, sans guillemets) celles qui ne le sont pas. Pourquoi ? Il suffit de leur poser la question. Leur réponse est : « Parce que les extensions d’aire de répartition dues à l’Homme ne sont pas naturelles, elles sont trop rapides, les écosystèmes ne sont pas préparés, il y a un risque de compétition défavorable avec les espèces indigènes etc. ». Lorsqu’on observe la rapidité avec laquelle le Héron garde-bœufs a conquis le Sud-Ouest, on a du mal à saisir la différence … A dire vrai, le Frelon asiatique ne s’y est pas vraiment installé plus vite à l’échelle des temps évolutifs. Pourtant, cet insecte est bel et bien considéré comme un « alien ».
En fait, les « scientifiques » s’en tiennent à la définition « scientifique » du « Groupe de Spécialistes des Espèces Envahissantes » de l’UICN citée plus haut, c’est à dire à la notion centrale de « naturalité » : est naturel ce qui advient sans le biais de l’Homme et n’est pas naturel ce qui advient par son biais. Le caractère artificiel de son extension d’aire est, en vérité, ce qui définit l’ « espèce exotique envahissante ». L’ « alien » n’est donc pas considéré comme tel parce qu’il est envahissant ou exotique, ou les deux à la fois (cf. le Héron garde-bœufs) mais seulement parce que son extension d’aire n’est pas naturelle, étant due à l’Homme.
Du concept de naturalité et de son absolue nullité scientifique
Interrogeons-nous à présent sur la scientificité de la notion de « naturalité », ce qui impose préalablement de mettre la main sur la définition du mot « nature ». Contre toute attente, ce mot qu’on pourrait croire affublé de mille et une définitions n’en admet en fait que deux, selon le « Vocabulaire technique et critique de la Philosophie » d’André Lalande (éd. PUF) :
1) L’ensemble de l’existant (trous noirs, Homme, antimatière, hamburgers, centrales nucléaires, Amanites phalloïdes, footballeurs, Chimpanzés, David de Michel-Ange …)
2) L’ensemble de l’existant sauf l’Homme et ses productions (la liste ci-dessus moins l’Homme, les hamburgers, les centrales nucléaires et le David de Michel-Ange … Il me semble oublier quelque chose.)
La première définition est celle admise par la science. La seconde en revanche procède d’une option intellectuelle non pas scientifique mais religieuse, qui considère que l’Homme n’est pas un animal comme les autres en admettant a priori comme définition même de l’animal : « tous les animaux sauf l’Homme » (c’est pratique). Pour les personnes adeptes de cette deuxième définition, l’Homme se distingue qualitativement des autres animaux par diverses aptitudes qui lui sont propres : rédiger des ouvrages de métaphysique, envoyer des fusées sur la Lune, attribuer de la valeur à un morceau de papier rectangulaire sur lequel est imprimé le symbole « 100 Euros », enterrer ses morts, sculpter le David ou peindre la Joconde etc. Pour ces personnes là, le propre de l’Homme constitue la preuve de sa singularité qualitative, voire de sa supériorité. Alors que pour les scientifiques, tout ça est plutôt quantitatif (fruit d’une évolution très graduelle du cerveau et du nombre de connexions neuronales, notamment) et constitue simplement la preuve qu’un singe au moins est suffisamment futé pour envoyer des fusées sur la Lune : l’Homme.
En résumé, la définition n°2 revient à raisonner de la façon suivante : les libellules sont des animaux et les papillons ne sont pas des libellules, donc les papillons ne sont pas des animaux. Ou, si vous préférez : les Chimpanzés sont des animaux et les Hommes ne sont pas des Chimpanzés, donc les Hommes ne sont pas des animaux. Ce qui n’est évidemment pas un raisonnement logique mais un raisonnement des plus foireux, pour s’autoriser un qualificatif trivial ayant le mérite de la clarté. Soit un sophisme, en langage civilisé.
La définition n°1, elle, revient à n’adopter aucun raisonnement et à s’en tenir raisonnablement aux faits : depuis Darwin, il est admis que l’Homme est un animal qui partage un ancêtre commun avec les grands singes et qui jamais, au cours de son évolution, n’a subitement traversé de membrane spatio-temporelle (ou touché un monolithe noir de provenance inconnue, ou ce que vous voudrez) ayant fait de lui autre chose qu’un animal, c’est à dire une créature au-dessus de la nature, en-dessous ou à côté. Est-il nécessaire de préciser que la théorie de l’évolution n’est pas qu’une hypothèse, mais une théorie scientifique du même ordre que celles de la pesanteur, c’est à dire sans cesse confortée par tous les éléments disponibles (l’ADN, récemment) ? Même le pape, à qui plaisait pourtant beaucoup l’idée d’un Homme créé par Dieu à son image (on le comprend), a fini par le reconnaître (tardivement, certes, puisque ça s’est passé sous Jean-Paul II). Enfin bref, un scientifique ne peut qu’adopter la définition n°1 du mot « nature ». Or, ce n’est évidemment pas le cas des « scientifiques » qui ont élaboré la définition de l’ « alien », vous l’aurez compris.
Conclusion et implications pratiques en termes conservatoires
L’Homme étant un animal tout ce qu’il y a de plus naturel, l’extension d’une aire de répartition par le biais de l’Homme est tout aussi naturelle que lorsqu’elle s’opère sans lui. Les « espèces exotiques envahissantes » sont donc, d’un point de vue scientifique, tout aussi naturelles et à leur place que n’importe quelle autre espèce. Il nous faut donc absolument renoncer à cette perception « contre nature » ou « artificielle » du phénomène des invasions biologiques, qui constitue en réalité l’argument massue en faveur d’une lutte systématique. Il nous faut, en conséquence, nous focaliser au cas par cas sur leurs seuls effets écologiques, sanitaires, économiques ... Lesquels sont souvent mal renseignés. Quiconque souhaite mettre la main sur des références bibliographiques évaluant de façon scientifique l’impact de telle ou telle espèce introduite sur la biodiversité autochtone se heurte la plupart du temps à un mur ... de vent, lorsqu’il ne tombe pas -dans le pire des cas- sur de pseudo-articles scientifiques reposant sur des protocoles défectueux. Or, de tels articles font communément autorité et entretiennent largement l’attitude guerrière qui prévaut aujourd’hui. Il reste donc de nombreuses recherches à mener sur de nombreuses espèces, dans de nombreuses zones d’introduction.